27 août 2013
Montage de deux photos de Paul Kagame le 9 août 2010 à Kigali et de Jakaya Kikwete le 26 mai 2013 à Addis Abeba ©AFP
Nairobi (AFP)
Le premier a menacé de "frapper" le second, le second de faire subir
au premier "de sinistres conséquences".Les présidents rwandais Paul
Kagame et tanzanien Jakaya Kikwete tentent depuis de calmer le jeu, mais
jamais l’escalade verbale n’avait été si loin.
Tout a commencé fin mai, au cinquantenaire de l’Union africaine à
Addis Abeba.Irrité de l’instabilité chronique en Afrique des Grands
Lacs, Jakaya Kikwete conseille à ses homologues de République
démocratique du Congo (RDC) Joseph Kabila, d’Ouganda Yoweri Museveni et
du Rwanda Paul Kagame de négocier avec les rebelles qui les combattent.
Paul Kagame, qui a mis fin au génocide des Tutsi dans son pays en
1994 avant de prendre le pouvoir, se voit ainsi conseillé de négocier
avec la rébellion hutu rwandaise des FDLR (Forces démocratiques de
libération du Rwanda), l’un des nombreux groupes armés actifs dans l’Est
de la RDC.
Un affront pour Kigali qui considère les FDLR comme des génocidaires en fuite, avec lesquels tout dialogue est exclu.
Sur le moment, le président rwandais se mure dans un mutisme
éloquent, laissant sa ministère des Affaires étrangères Louise
Mushikiwabo dénoncer une "aberration".Puis les deux chefs d’Etat
échangent des propos d’une violence inédite, à coups de sous-entendus
plus ou moins explicites.
Le 30 juin, Paul Kagame avertit ceux qui lui "conseillent de négocier
avec les FDLR" : au moment opportun, "je vous frapperai" car "il y a
des lignes rouges à ne pas franchir".
Quelques jours plus tard, il explique que ses "mains le démangent"
quand certains s’en prennent "à ce que (le Rwanda) a construit" ces
dernières décennies et il se dit prêt "à la guerre".
Sans citer de noms, Jakaya Kikwete réplique en promettant de
"sinistres conséquences" à quiconque attenterait à l’intégrité
territoriale de son pays et rappelle le sort réservé au dictateur
ougandais Idi Amin Dada, renversé en 1979 par une contre-offensive
tanzanienne, après une incursion de l’armée ougandaise en Tanzanie.
Pour le chercheur français André Guichaoua, la Tanzanie accueille
depuis des décennies des réfugiés fuyant les conflits à répétition au
Rwanda, au Burundi, en Ouganda ou en RDC, et les "Tanzaniens en ont par
dessus la tête" de l’instabilité chronique dans les Grands-Lacs.
Or, selon M. Guichaoua, si les groupes armés du Burundi sont plus ou
moins sous contrôle - notamment après la sortie du maquis du chef
rebelle Agathon Rwasa - et si en Ouganda la menace de l’Armée de
résistance du Seigneur (LRA) est sérieusement amoindrie, le Rwanda
continue d’"entretenir le conflit" dans l’est de la RDC.
Kigali - qui dément - y est accusé par l’ONU de soutenir le M23, mouvement de rebelles congolais majoritairement tutsi
qui combat Kinshasa dans la province minière du Nord-Kivu depuis mi-2012.
En outre, explique M. Guichaoua, Paul Kagame "utilise les tensions
régionales et la lutte contre les FDLR", pourtant "très largement en
déconfiture", comme épouvantails pour "sortir de son isolement
grandissant aussi bien à domicile que sur le plan diplomatique".
Risque de conflit ?
L’escalade verbale, exacerbée selon des analystes par une bataille
d’ego entre dirigeants de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC),
intervient alors que la Tanzanie participe à une brigade d’intervention
de l’ONU dans le Nord-Kivu, chargée d’y éradiquer les rébellions et
regardée avec suspicion par le Rwanda.
Y-a-t-il un risque que la joute verbale dégénère dans l’Est de la RDC ?
"La solution ne peut être que politique", estime André Guichaoua.Si
nécessaire, note-t-il, Kigali pourrait donner un nouveau coup de pouce
au M23 pour qu’il prenne Goma, capitale du Nord-Kivu, comme en novembre
2011.
Le mouvement "neutraliserait la brigade des Nations unies dirigée
par un général tanzanien, en montrant son impuissance".
Thierry Vircoulon, de l’International Crisis Group, ne voit pas cette
"guerre des mots assez surprenante" dégénérer militairement, "à moins
qu’un soldat tanzanien ne soit tué demain".
M. Kikwete assure depuis n’avoir jamais menacé M. Kagame et a
souhaité début août de "bonnes relations avec le Rwanda", reconnaissant
une passe "difficile" entre les deux pays.
Dans le même temps, Mme Mushikiwabo a tenu à souligner que Rwanda et
Tanzanie n’avaient "d’autre alternative que de vivre ensemble et
pacifiquement".Mais parallèlement, la Tanzanie expulsait des milliers de
réfugiés illégaux — rwandais, mais aussi burundais ou congolais,
rajoutant de l’huile sur le feu.
"Ce désaccord n’est pas bon pour la Communauté" d’Afrique de l’Est
mais "je ne crois pas qu’il y ait un risque d’éclatement", a rassuré
lundi le secrétaire-général rwandais de l’EAC, Richard Sezibera,
confiant que les tensions seraient "résolues diplomatiquement".
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