(Le Potentiel
10/12/2012)
«
To save Congo, let it fall apart » (Pour sauver le Congo, il faut l’émietter).
Cet article paru le 30 novembre 2012 dans le très célèbre journal américain, New
York Times, est signé J. Peter Pham. Directeur d’un centre d’études proche du
Département d’Etat américain et de l’OTAN, l’auteur soutient la thèse selon
laquelle la balkanisation serait le seul moyen de sauver la RDC, un pays des
Grands Lacs africains pris dans l’engrenage infernal de conflits armés au motif
qu’il est trop riche et trop spacieux pour ses habitants et ses dirigeants. Plus
de doute. Des analyses aux allures faussement ’’scientifiques’’ s’accumulent et
démontrent que les visées de la partition de la RDC se précisent.
Malgré
la résistance affichée par le peuple congolais, les concepteurs de la
balkanisation de la République démocratique du Congo n’ont pas désarmé. Tous se
montrent insensibles aux six millions de Congolais morts à la suite des
affrontements armés qu’ils ont organisés et continuent à entretenir de manière
cyclique. Ce qui n’est pas moins un génocide qu’on tente par tous les moyens
d’occulter. Infatigables et impénitents, ils ne jurent que par l’éclatement de
l’ex-colonie belge.
Ce qui devient de plus en plus clair chaque jour qui
passe c’est que les tenants de la balkanisation de la RDC n’ont pas encore dit
leur dernier mot. Des langues se délient et des masques tombent sur ce projet
macabre. Les balkanisateurs travaillent sur tous les fronts. Ils créent des
groupes armés et des seigneurs de guerre. Ils infiltrent les institutions du
pays et se déploient dans la masse populaire pour faire de l’intox. Ils créent
des centres de recherche et des groupes de réflexion dans lesquels ils emploient
ou impliquent même des Congolais.
Autrement dit, tous les moyens sont
bons pourvu qu’ils atteignent leur objectif : modifier les frontières actuelles
de la RDC. « Africa Center at Atlantic Council », une structure spécialisée
américaine reprise dans le New York Times daté du 30 novembre 2012, estime que
la RDC est trop grande pour demeurer dans son format actuel. L’idéal, soutient
son directeur pour l’Afrique, serait de l’émietter de façon à faire profiter au
monde l’immensité de ses ressources naturelles, évaluées à ce jour à environ 24
000 milliards de dollars américains.
« Mieux que la construction d’une
nation, conclut-il son article, ce qui est voulu pour terminer le cycle de
violences au Congo est l’opposé : émietter chroniquement un Etat en faillite en
petites unités organiques dont les membres partagent largement la même
conception ou au moins ont des intérêts communs pour leur sécurité personnelle
ou communautaire ». Selon J. Peter Pham, la RDC est un « pays artificiel » en
crise qui devrait « être remis à son vrai peuple ». Quelle méchanceté ! Quel
mépris pour une nation et un peuple meurtri!
Pays en crise, personne ne
peut douter de la situation actuelle de la RDC. Mais aller jusqu’à prétendre
qu’il s’agit d’un pays artificiel, c’est pousser trop loin un racisme rampant.
Lequel atteint son paroxysme quand notre soi-disant chercheur prétend qu’il
existerait quelque part un vrai peuple pour venir habiter la RDC. Dans sa tête
et dans celle de tous ceux qui pensent comme lui, grouillent de la démence sinon
de la mégalomanie. Le Congo appartient aux Congolais et non à ses voisins.
Encore moins à tous ces envieux qui lorgnent ses richesses.
Comme on le
voit, les arguments brandis à l’époque, notamment conflits interethniques et
identitaires ne font plus « bander » ; ils sont tombés en désuétude. Raison pour
laquelle les balkanisateurs misent sur des articles dits scientifiques pour
séduire la communauté nationale et internationale. Peine perdue ! Le peuple
congolais a pris tout son temps pour comprendre les enjeux de ces conflits armés
qu’on lui impose chaque fois qu’il se propose à prendre l’élan pour un décollage
définitif.
J. Peter Pham a beau être un chercheur dans un centre de
recherche haut perché, le peuple congolais n’en a que faire. L’analyse qu’il
étale dans son article paru dans New York Times en novembre dernier est
tellement simpliste qu’elle est, à tout point de vue, répugnante. Non seulement,
il se trompe d’époque, mais aussi il semble ignorer les réalités congolaises
séculaires. La nation congolaise existe et s’est consolidée à travers les
siècles. Le territoire congolais est délimité par des frontières
internationalement reconnues. Le malheur de notre chercheur et de ses
commanditaires est de croire que le partage fait en 1885 à Berlin peut être
réédité à partir d’un bureau ou d’un centre de recherche.
Dans sa feuille
de choux, J. Peter Pham commence par faire un survol de l’histoire du Congo,
rappelant au passage la part de responsabilité du roi belge Léopold II. Puis, il
s’attarde sur le M23, une émanation du CNDP et revient sur ses revendications
qui rappellent la guerre menée autrefois par l’AFDL en 1996 et reprise par le
RCD en 1998.
La pilule est dure à faire avaler aujourd’hui à une opinion
congolaise très éveillée et édifiée sur tout ce qui se trame contre son pays.
Atlantic Council se trompe d’analyse. Le peuple congolais n’a pas encore lâché
prise, il ne va pas non plus baisser les bras. La guerre que mènent le Rwanda et
l’Ouganda, par le truchement du M23, n’a pas brisé l’unité nationale ; encore
moins le sursaut de patriotisme et de nationalisme qui anime tout Congolais
digne de ce nom.
Cet élan est porté par la Société civile, les
confessions religieuses et autres organisations de masses. C’est notamment le
cas de l’Eglise catholique. Dans leur message du 5 décembre 2012, les évêques
catholiques se sont, sans équivoque, prononcés contre la balkanisation. Ils ont
insisté sur la consolidation de l’unité nationale comme bouclier contre ceux qui
mijotent la partition de la RDC.
Qu’est-ce à dire ? La RDC a une âme. Et
cette âme est ancrée dans l’imaginaire collectif du peuple congolais au point
que la concrétisation du vieux projet de balkanisation de la RDC restera un vœu
pieux.
Le son contraire
Puisque les analyses scientifiques ne sont
pas l’apanage du seul camp des balkanisateurs, d’autres chercheurs occidentaux,
corrects, se sont penchés sur le cas de la RDC. Quatre ouvrages publiés par ces
intellectuels occidentaux en attestent éloquemment. Il s’agit de « La dynamique
de la violence en Afrique centrale » de René Lemarchand ; « La guerre du Congo.
Conflit, mythe ou réalité » de Thomas Turner ; « La guerre mondiale en Afrique »
de Gérard Prunier ; « Carnage. Les guerres secrètes des grandes puissances en
Afrique » de Pierre Péan.
Prunier et Turner insistent particulièrement
sur le rôle joué par les Occidentaux, notamment les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne, dont les états-majors et des laboratoires stratégiques ont
monté des plans pour aider le Rwanda et l’Ouganda à trouver des solutions à
leurs problèmes en se partageant la RDC. Ces deux auteurs relèvent, citant un
haut fonctionnaire américain, que « les desseins du Rwanda sur l’Est du Congo
ont été encore facilités par l’intérêt de l’administration Clinton en vue de
promouvoir un groupe d’hommes, de nouveaux dirigeants africains. Ces nouveaux
dirigeants ont été chargés de repenser l’Afrique jusqu’au frontières
sacro-saintes comme moyen de créer davantage d’Etats viables ».
D’où,
l’idée de diviser la RDC, de créer de nouveaux arrangements institutionnels tels
que des fédérations décentralisées ou même des confédérations.
N’est-ce
pas le projet que défend actuellement le M23, mouvement ouvertement soutenu par
le Rwanda et l’Ouganda ? Les balaknisateurs et leurs sous-traitants sur le
terrain des opérations militaires ou encore dans des laboratoires sont aux
abois. Tout ce qu’ils ont à faire c’est d’abandonner un projet rébarbatif,
révolu et ignoble. Nous reprenons ci-après, l’article publié le 30 novembre 2012
dans le New York Times dans sa forme originale.
Encadré
To Save
Congo, Let It Fall Apart
The Democratic Republic of Congo, which erupted
in violence again earlier this month, ought to be one of the richest countries
in the world. Its immense mineral reserves are currently valued by some
estimates at more than $24 trillion and include 30 percent of the world’s
diamond reserves; vast amounts of cobalt, copper and gold; and 70 percent of the
world’s coltan, which is used in electronic devices. Yet the most recent edition
of the United Nations Development Program’s Human Development Index ranked Congo
last among the 187 countries and territories included in the
survey.
Instead of prosperity, Congo’s mineral wealth has brought only an
endless procession of unscrupulous rulers eager to exploit its riches, from King
Leopold II of Belgium to Mobutu Sese Seko, who was allowed by the logic of the
cold war to rule the same area as a private fief. And last year, the current
president, Joseph Kabila, who inherited the job from his assassinated father
more than a decade ago, awarded himself another five-year term in elections that
were criticized by everyone from the European Union to the country’s Roman
Catholic bishops.
If some enterprises, public or private, can be said to
be “too big to fail,” Congo is the reverse: it is too big to succeed. It is an
artificial entity whose constituent parts share the misfortune of having been
seized by the explorer Henry Morton Stanley in the name of a rapacious
19th-century Belgian monarch. From the moment Congo was given independence in
1960, it was being torn apart by centrifugal forces, beginning with separatism
in the mineral-rich southern province of Katanga.
The international
community has repeatedly dodged this reality by opting for so-called peace deals
with shelf lives barely longer than the news cycle. Rather than nation-building,
what is needed to end Congo’s violence is the opposite: breaking up a
chronically failed state into smaller organic units whose members share broad
agreement or at least have common interests in personal and community
security.
In recent weeks, a rebel group calling itself the March 23
Movement, or M23, has stormed through eastern Congo, scattering poorly trained
units loyal to the government and reducing a huge United Nations peacekeeping
force to a helpless bystander as M23 seized control of Goma, the capital of the
resource-rich North Kivu province. The rebel advance rekindled fears of a
renewal of the bloody 1998-2003 Second Congo War, which drew the armies of a
host of African countries as well as countless local militias into what was
aptly dubbed “Africa’s world war.”
The M23 rebels appear
indistinguishable from the several dozen other armed groups lurking in or around
Congo, but in many respects they are quite different. Many M23 members are
veterans of an earlier insurgent group, the National Congress for the Defense of
the People, known by the French acronym CNDP, which consisted largely of ethnic
Tutsi Congolese who had banded together to fight the former Hutu génocidaires
who fled to Congo following the end of their killing spree in Rwanda in
1994.
In a peace deal that was reached nearly four years ago, the Kabila
government promised to facilitate the return of more than 50,000 Congolese Tutsi
refugees, to integrate C.N.D.P. fighters into the national army, and to share
power with the group’s leaders. Mr. Kabila’s failure to honor these commitments
led to the current M23 revolt.
A United Nations report has accused the
Rwandan government of supporting M23. Although Rwanda has denied it, this may
well be true, and it is perfectly understandable given that the M23 rebels are
fighting former Hutu génocidaires who still dream of invading Rwanda and
finishing what they started nearly two decades ago.
Others have dismissed
the M23 leaders as “warlords.” But warlords, even if they do not acquire power
through democratic means, tend to provide some sort of political framework,
often based on kinship ties or ethnic solidarity, that is seen as legitimate.
They also tend to provide some basic security — which is more than the
questionably legitimate Kabila government in Kinshasa provides for most
Congolese.
Whatever else Congo’s various armed groups may be, they are
clearly viewed by large segments of some communities as de facto protectors — a
point underscored by the several hundred government soldiers and police officers
who recently defected to M23 and publicly swore allegiance to it after the fall
of Goma.
If Congo were permitted to break up into smaller entities, the
international community could devote its increasingly scarce resources to
humanitarian relief and development, rather than trying, as the United Nations
Security Council has pledged, to preserve the “sovereignty, independence, unity,
and territorial integrity” of a fictional state that is of value only to the
political elites who have clawed their way to the top in order to plunder
Congo’s resources and fund the patronage networks that ensure that they will
remain in power.
Despite its democratic misnomer, Mr. Kabila has
repeatedly delayed holding local elections since 2005. For years, every last
mayor, burgomeister and neighborhood chief in the entire country has been
appointed by presidential decree.
Given the dysfunctional status quo and
the terrible toll it has exacted in terms of lives and resources, the West
should put aside ideological dogmatism in favor of statesmanlike pragmatism and
acknowledge the reality that, at least in some extreme cases, the best way to
break a cycle of violence is to break up an artificial country in crisis and
give it back to its very real people.
J. Peter Pham
Director of the
Africa Center at the Atlantic Council.
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