(Le Devoir 05/10/2012)
Dans une semaine, une partie de l’actualité politique
canadienne se transportera à plusieurs milliers de kilomètres, dans la capitale
de la République démocratique du Congo où se tiendra le XIVe Sommet de la
Francophonie. L’occasion ne devrait pas passer inaperçue puisque c’est à
Kinshasa que la nouvelle première ministre Pauline Marois fera ses premiers pas
sur la scène internationale.
Paradoxe, qui pourrait peut-être
devenir un symbole, c’est là aussi qu’elle rencontrera pour la première fois
depuis son élection son homologue Stephen Harper. Bref, avant de serrer la pince
de son compatriote, Mme Marois risque de serrer celle de Joseph Kabila, l’hôte
du sommet. C’est là aussi qu’elle rencontrera pour la première fois le nouveau
président français, 48 heures avant une visite de trois jours à
Paris.
Nul doute que chaque oeillade et chaque geste de ce trio
diplomatique seront scrutés à la loupe. Et avec raison. Ces sommets sont un des
rares lieux où le Québec a le droit de parler de sa propre voix à l’étranger. Il
y a d’ailleurs imposé depuis longtemps son droit d’intervenir librement sur tous
les sujets sans la moindre tutelle canadienne. Le rôle du Québec est d’autant
plus important à Kinshasa que ce sommet sera le premier de l’histoire de la
Francophonie à adopter une politique de promotion et de défense du français dans
le monde. C’est d’ailleurs sur ce sujet que doit intervenir Pauline Marois
devant les chefs d’État et de gouvernement.
Eh oui, il aura fallu
près d’un demi-siècle pour que la Francophonie se donne comme priorité de…
défendre le français. Ça semblait évident ? Eh bien, ça ne l’était pas ! Après
les voeux exprimés au sommet de Québec (2008), après la déclaration du sommet de
Montreux (2010), après le Forum mondial qui a réuni des représentants des
francophones du monde entier à Québec en juillet dernier, nous y sommes enfin.
De la fermeté des positions adoptées la semaine prochaine dépendra la capacité
de l’OIF d’imposer sa voix dans les organisations internationales, mais aussi
d’exiger de ses propres membres qu’ils assument leurs devoirs. Trop de pays
membres se soucient en effet du français comme d’une guigne.
Nulle
part cet engagement n’est aussi important qu’en Afrique, qui représente déjà le
plus grand bassin de francophones du monde. Si tout se passe bien d’ici 2050, 80
% des 700 millions de locuteurs de notre langue vivront en Afrique. Or, la
démographie seule ne suffira pas à garantir cette évolution. Déjà, la place du
français, pourtant en progression, est menacée. Elle l’est par l’affirmation des
langues nationales, ce qui est un juste retour des choses. Mais elle l’est aussi
par la progression de l’anglais.
C’est pourquoi la tenue de ce sommet
à Kinshasa est éminemment symbolique en dépit du fait que le pays n’est pas un
parangon de démocratie. Avec ses 80 millions d’habitants, la RDC est en effet le
pays le plus populeux du monde à avoir le français comme langue officielle. Mais
ces chiffres ne doivent pas faire illusion. La majorité de la population ne
parle pas vraiment le français. Et quand elle le parle, cette connaissance est
souvent sommaire. Dans les centres urbains, le lingala et le swahili remplacent
de plus en plus le français comme langue véhiculaire. L’anglais est aussi en
progression sur le front est, notamment au Rwanda où la langue de
l’administration et de l’enseignement public est passée du français à l’anglais.
Une décision évidemment catastrophique pour le pays et son système d’éducation.
Même à Kinshasa, il n’est plus rare que certaines réunions se tiennent
aujourd’hui en anglais. Cette exigence est d’ailleurs souvent le fait
d’organisations internationales qui font peu de cas de la langue officielle du
pays. Sans un effort massif dans l’enseignement, la formation des maîtres et la
diffusion, le français s’étiolera en Afrique.
J’entends
malheureusement déjà bâiller une partie de mes lecteurs tant la Francophonie est
associée dans leur esprit, souvent à tort, à une forme de ronron politique. Ceux
qui parlent ainsi n’ont jamais visité l’un des 225 centres de lecture et
d’animation culturelle qu’anime l’OIF en Afrique et en Asie. Ils oublient la
place qu’occupe déjà un réseau comme TV5 Monde et celle encore plus grande qu’il
pourrait occuper demain.
Mais, au-delà de tous ces défis, la
Francophonie souffre d’un handicap qu’elle devra bien surmonter un jour. C’est
l’engagement de la France elle-même qui a trop souvent fait défaut. Au-delà des
beaux discours, et Dieu sait que le dernier président n’en a pas manqué, le
français y est trop souvent considéré comme une langue ringarde alors que le
globish snobinard des élites parisiennes serait doué de toutes les vertus de la
modernité. Tant qu’on ne combattra pas pied à pied ce préjugé, d’ailleurs aussi
présent au Québec, tant que la France se contentera d’une défense du bout des
lèvres, la Francophonie demeurera un voeu pieux. Le nouveau gouvernement
français a là une belle occasion de se manifester et de rompre avec cette époque
où le président faisait de beaux discours pendant que sa ministre de l’Économie
parlait anglais avec ses employés.
Christian Rioux 5 octobre 2012
Québec
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