mercredi 17 octobre 2012

Le corps-à-corps de Kinshasa

 (L'Express 16/10/2012)

Deux boxeurs peuvent se défier rudement à l’heure de la pesée, s’invectiver le jour J dans le secret des vestiaires, puis, sur le ring, retenir crochets et uppercuts. Scénario illustré par l’empoignade trop attendue entre François Hollande et Joseph Kabila à Kinshasa, théâtre samedi du 14e Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Quatre jours auparavant, le locataire de l’Elysée avait fustigé les dérives autocratiques du boss de « Kin ». Hier matin, il a croisé les gants avec son hôte lors d’un tête-à-tête « franc et direct ». Formule appliquée, dans la novlangue diplomatique, aux échanges rugueux. A en croire son entourage, le successeur de Nicolas Sarkozy aurait ainsi exigé, dix jours avant le procès en appel des huit policiers incriminés, que soient dûment jugés et punis les meurtriers Floribert Chebeya ; avant d’inaugurer, un peu plus tard, au sein du Centre culturel français, une médiathèque dédiée au militant des droits de l’homme assassiné en juin 2010. Comme annoncé, Hollande conversera ensuite avec des émissaires de l’opposition parlementaire, une délégation de la société civile puis, le soir venu, le vieil insoumis Etienne Tshisekedi. Celui-là même qui revendique la dignité de « président élu » depuis novembre 2011, date d’un scrutin entaché par des fraudes grossières.

Lors de la cérémonie d’ouverture, chacun des deux pugilistes s’est donc borné à réciter ses gammes. Même si c’est à contre-emploi que Kabila entonna un refrain à la gloire de la tolérance, de l’Etat de droit et de la démocratie. Moins dissonante aura été sa sortie sur la « guerre injuste imposée [au Nord-Kivu] par des forces négatives à la solde d’intérêts extérieurs ». Entendez la rébellion des mutins du M23, épaulée quoiqu’en dise Kigali par le Rwanda. Y penser toujours, n’en parler jamais… Si le pays des Mille collines fut à peine cité, l’ombre de son maître absolu Paul Kagamé flotta sur le huis-clos des chefs d’Etat. Et l’on doit à l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, d’avoir évoqué, publiquement cette fois, le calvaire des civils broyés entre les insurgés et l’armée dite régulière aux confins orientaux de l’ex-Zaïre.

On ne saurait taire, pour conclure, l’étrange couac qui assombrit l’épilogue du sommet kinois. A savoir l’admission directe, au titre de « membre associé » de l’OIF, de Sa Majesté le Qatar, fief francophone bien connu, dispensé de passer par la case « observateur », antichambre où patientent les candidats ordinaires. Cet insolite privilège a bien sûr alimenté de vifs débats. Mais l’intense lobbying de l’émirat, notamment auprès de partenaires africains tels que la Guinée ou Djibouti, finira par… payer. Et tant pis si Doha finance en Afrique de l’Ouest des écoles coraniques qui tendent à supplanter les établissements où se cultive la langue de Molière et d’Aimé Césaire. Tant pis si de généreux donateurs qataris choient au Nord-Mali telle faction salafiste, dont on dénonça par ailleurs les exactions barbares.

Diouf réclame non sans raison pour l’Afrique « la place qui lui revient de droit » au sein d’instances telles que le Conseil de sécurité de l’Onu, le FMI ou la Banque mondiale. Il vilipende à juste titre le « deux poids deux mesures » dont pâtit le continent dans l’arène planétaire, comme le diktat des « intérêts commerciaux et stratégiques ». Pourquoi dès lors gratifier le puissant Qatar d’un statut qui, à l’évidence, ne lui revient pas ? L’argument selon lequel la principauté des al-Thani accueille sur son sol maints expatriés hexagonaux a quelque chose de cocasse. A ce compte-là, bienvenue à l’Angleterre, à l’Allemagne et à l’Australie… Histoire de gagner du temps, on suggèrera ici d’attribuer sans délai au nouveau-venu le fauteuil de secrétaire perpétuel de l’Académie Française, voire de lui confier les commandes de la Fédération internationale de ski.

le 14 octobre 2012 0H36 | par
Vincent Hugeux

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