mardi 18 septembre 2012

Grands Lacs : «Tous les paramètres du désastre sont réunis»

 (Le Temps.ch 18/09/2012)

Pour l’expert Thierry Vircoulon, les violences dans l’est de la RDC risquent de replonger toute la région dans une crise profonde.

Après avoir jeté sur les routes 220 000personnes en République démocratique du Congo (RDC), et provoqué la fuite de 57 000 autres au Rwanda et en Ouganda, les violences qui meurtrissent les Kivus depuis avril dernier menacent d’embraser une fois de plus toute la région des Grands Lacs. Dans un rapport publié mardi dernier, l’ONG Human Rights Watch accuse la rébellion du M23, issue d’une mutinerie dans l’armée congolaise, de commettre «des crimes de guerre à grande échelle». Installés dans les Kivus, les insurgés sont adossés à la frontière avec le Rwanda, pays accusé par l’ONU de soutenir activement le M23.

Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale d’International Crisis Group, qui se trouvait la semaine dernière à Genève à l’invitation du Centre de politique de sécurité (GCSP), ces troubles sont la conséquence de problèmes de fond anciens et persistants, que ni les gouvernements des Etats concernés, ni la communauté internationale ne se sont donné la peine d’empoigner. Entretien.

Le Temps: Quels sont les éléments les plus inquiétants de la crise qui ressurgit dans la région des Grands Lacs?

Thierry Vircoulon: Dix ans après l’accord de paix conclu à l’issue de la deuxième guerre du Congo (ndlr: qui a fait plus de 3 millions de morts), on observe en RDC davantage de milices dans les Kivus, davantage de violations des droits de l’Homme, et davantage de recrutement d’enfants soldats. Autre source de préoccupation, l’armée n’en est pas réellement une: elle n’est pas payée, pas disciplinée, et constituée de divers groupes armés qui ont intégré ses rangs mais ont maintenu leurs systèmes de commandement. Tout cela résulte d’une absence de réforme de la gouvernance et de l’armée, du fait que les accords de 2009 entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (ndlr: une milice qui écumait les Kivus) n’ont pas été appliqués, et du déroulement des élections de l’année dernière qui ont marqué une fermeture du processus politique, au lieu de permettre son ouverture (ndlr: Joseph Kabila a été reconduit à la présidence dans des circonstances très contestées). Il faut encore ajouter à cela les intérêts rwandais dans la région, la résurgence de la tension rwando-congolaise, et nous avons tous les paramètres du désastre.
– Vous pointez largement les faiblesses du processus de paix pour expliquer la situation actuelle…

– Le processus de paix a été à l’origine d’un relatif retour au calme dans la région, mais il n’a pas permis à la démocratie de s’y implanter, ni de régler les luttes foncières auxquelles se livrent les différentes ethnies. Il n’a pas non plus résolu le fait que le Rwanda, doté de peu de ressources, s’intéresse de très près à celles de son voisin. Cette forte inégalité socio-économique demeure entre un Rwanda surpeuplé et un territoire congolais extrêmement vaste. Les problèmes politiques n’ont pas trouvé de solution, ils ont été gelés par le processus de paix. Et tant que les problèmes de fond ne sont pas traités, ils réapparaissent un jour ou l’autre.

– A quelle évolution faut-il s’attendre?

– Pour l’heure, une sorte de cessez-le-feu informel s’est instauré entre la rébellion du M23 et l’armée congolaise. Le M23 est installé dans son fief, à la frontière avec le Rwanda, et comme l’armée a été défaite deux fois en juillet, elle n’a pas lancé d’autre opération. Tout est suspendu, mais pendant ce temps, le M23 s’enracine. Il a nommé ses administrateurs, un gouvernement fantoche, et a prononcé dernièrement un discours de politique générale. Il applique la stratégie du groupe armé qui tente de se donner une légitimité. Pendant ce temps, des discussions diplomatiques se poursuivent au sein de la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs, envisageant le déploiement d’une force armée. Mais outre le fait que ce projet paraît difficile à mettre en œuvre, il n’est pas certain que les quelque 4000 hommes supplémentaires dont il est question soient en mesure de faire la différence sur le terrain. On tourne en rond, l’histoire se répète. Face au refus de négocier de Kinshasa, le M23 pourrait être tenté de faire monter la pression par une nouvelle offensive militaire. Les autorités sont aussi très va-t-en-guerre, cela pourrait donc vite déraper. A cela s’ajoute le fait que l’armée a en grande partie convergé au Kivu pour faire face au M23, délaissant certaines parties du territoire. Et derrière ses lignes, de multiples groupes armés qui se trouvent en zone forestière sont libres d’agir comme bon leur semble. Ils se livrent à des exactions, notamment sur les rwandophones, car les tensions ethniques sont désormais fortement exacerbées.
– Quel serait le plus sûr moyen d’enrayer la crise?

– La solution du problème des Kivus et du reste du Congo se trouve à Kigali et à Kinshasa. Les sanctions adressées au Rwanda par certains bailleurs de fonds qui ont suspendu leur aide constituent un début de solution. Pour autant que ces mesures se confirment, car certains pays, tels que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, semblent tentés de les remettre en cause. La décision du Comité des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU au sujet du Rwanda, attendue dans les mois qui viennent, revêtira une importance capitale. Il faut par ailleurs faire pression sur Kinshasa pour qu’une réforme de l’armée soit lancée. Il serait sans doute souhaitable d’écarter certains officiers, mais il faut surtout payer les soldats. Et au-delà de ces mesures de gestion de crise, s’attaquer aux problèmes de fond.


Sandra Moro



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