(Le
Potentiel 11/08/2012)
Le glas sonne pour Paul Kagame et son régime. Le faisceau
d’informations disponibles démontre que la fin de la dictature installée à
Kigali est proche. Le processus a atteint sa maturation. Suspension des aides en
cascades, succession des remontrances publiques, etc. Le régime de Kigali est
aux abois. Signe des temps, les Etats-Unis formeraient déjà des officiers
rwandais de demain. L’hymne est entonné - l’œuvre de ceux-là même qui ont
façonné celui qui passait pour le gendarme de la sous-région des Grands
Lacs.
La politesse diplomatique prend de plus en plus le dessus sur
l’admiration maintes fois renouvelée en direction de l’homme fort de Kigali.
L’idylle aura totalisé 18 ans d’hypocrisie. Sur le trajet de sa gloire, des
millions de Congolais sont tombés à cause des excès d’un voisin belliqueux
décidé à tout régenter par la violence, profitant allégrement de la maladresse
d’une communauté internationale acquise à sa cause.
Le énième rapport des
experts des Nations unies produit le 27 juin 2012 a mis à nue les travers du
soutien rwandais apporté à la mutinerie menée par le M23.
Après les
Nations unies, d’autres pays ont emboité le pas, allant, à l’instar des
Pays-Bas, des Etats-Unis et de l’Allemagne, jusqu’à geler leur assistance
financière à Kigali.
Depuis un temps, le parfait amour avec les soutiens
financiers de Kigali traverse une zone de très fortes turbulences.
Leurre ? Fantasme ?Pas évident que ce changement de ton ne soit que
l’effet d’une colère passagère de la part des maitres du monde. Le lâchage
semble être le terme qui convient dans le cas de Paul Kagame.
Les
jurisprudences ne manquent pas. La plus récente dans la sous-région des Grands
Lacs est le traitement dégradant infligé au régime Mobutu, après de multiples
services rendus à l’Occident.
L’isolement se précise
Tout
commence par des écarts dans le langage. Quittant les traditions diplomatiques,
des congressemen américains sont montés au créneau exigeant qu’aucune
négociation ne soit amorcée avec Kigali, sans au préalable obtenir la fin du
soutien apporté au M23.
De passage à Johannesburg, la secrétaire d’Etat
américaine, Hillary Clinton, est allé dans le même sens. Elle a, à cet effet,
exigé l’arrêt de tout soutien au M23, allant jusqu’à entrevoir des poursuites
pénales à l’encontre des responsables du drame humanitaire de l’Est de la
RDC.
Pour corser les choses, la sortie médiatique du général Kayumba
vient ébranler, depuis son exil en Afrique du Sud, le mythe entretenu autour de
la personne du président rwandais. L’ancien chef d’état-major de l’armée
rwandaise a poussé trop loin, qualifiant au passage Paul Kagame de «Hitler» !
En même temps, les diasporas congolaise et rwandaise ne cessent de se
mobiliser pour dénoncer les actions barbares perpétrées par le régime de Kigali
dans l’Est de la RDC.
C’est en embouchant, à tous les coups, le même
refrain, que le jeu de Kigali a fini par fatiguer ses soutiens occidentaux. La
neutralisation des génocidaires FDLR présentés comme prétexte à des incursions
armées à l’intérieur des frontières congolaises, accompagnée d’actes de
prédation ne pouvait pas laisser indifférente et indéfiniment inactive l’opinion
publique internationale.
Une étude commandée par le Bureau de
coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA), atteste que «près de
17,3 millions de Congolais se trouveraient en état d'insécurité alimentaire
aiguë». Mis dans l’impossibilité de se rendre aux champs, ces déplacés internes
sont devenus un problème pour le pays ainsi que la communauté internationale.
Cela ne devrait pas durer indéfiniment.
La descente aux
enfers
Selon des sources concordantes, des Américains formeraient déjà
«des officiers rwandais de demain». Des officiers formés pour protéger les
populations et non pour perpétrer des violences et la prédation dans la
sous-région.
Pour Washington, la répression devait céder sa place à
l’émergence de la démocratie.
Pressé comme un citron, Paul Kagame est en
train de subir le même sort que Mobutu qui a servi pendant un cycle. Le temps de
Kagame est arrivé à terme, susurre-t-on dans certains milieux spécialisés.
Sa succession étant en préparation, le plus important est de veiller sur
la qualité des acteurs à venir. Kagame a fait son temps. Il a servi une cause,
il ne sert plus à rien pour ses mentors, fatigués par son manque de modération
dans la violence et la prédation. La roue de l’histoire tourne. Pour l’instant,
c’est en défaveur de celui qui se faisait passer pour le point focal de la
politique américaine dans la région des Grands Lacs.
Le feuilleton
Kagame, qui ne fait que commencer, est une belle leçon pour tous les dirigeants
africains qui travaillent pour les intérêts étrangers et contre ceux de
l’Afrique et des Africains.
En encadré, une analyse du journal français
Le Monde qui peint à sa manière le script de la chute probable de l’homme fort
de Kigali.
Encadré
T/Face à l'ingérence du Rwanda en RDC, les pays
occidentaux réduisent leurs aides
L'heure n'est plus à la flagornerie.
Ni aux échanges diplomatiques doucereux et policés. Depuis qu'un rapport
d'experts des Nations unies, rendu public le 27 juin, a explicitement accusé le
Rwanda de déstabiliser la République démocratique du Congo (RDC) voisine par le
truchement d'armes, de munitions et de combattants, le "pays des mille collines"
est victime d'un désamour patent de la part de ses principaux partenaires
occidentaux.
Ceux-ci s'indignent du soutien apporté officieusement par
l'ex-protectorat belge au Mouvement du 23 mars, groupe de mutins congolais en
butte depuis mai à l'autorité de Kinshasa. Censé intégrer l'armée régulière aux
termes d'un accord scellé le 23 mars 2009, le M23 – issu d'une ex-rébellion
tutsie en RDC, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) – a fini par
se retourner contre le président Joseph Kabila, faute d'obtenir les gages
souhaités. Le Rwanda se serait d'autant plus volontiers engouffré dans cette
brèche qu'il a soutenu naguère le CNDP pour mener, sur le sol congolais, la
chasse aux génocidaires et rebelles hutus rwandais – lesquels représentent
toujours, à ses yeux, une sérieuse menace.
Lasse de ce jeu trouble, une
partie de la communauté internationale a décidé de hausser le ton à l'égard du
régime de Paul Kagame, lui-même tutsi. La situation, en effet, est critique : au
cours des quatre derniers mois, les combats dans l'est du Nord-Kivu – zone
frontalière du Rwanda et de l'Ouganda, où sont situées les bases du M23 – ont
contraint plus de 220.000 Congolais à fuir leur domicile, accentuant le
déséquilibre qui frappe la région déjà tourmentée des Grands Lacs. D'après une
étude dévoilée en juin par le Bureau de coordination des affaires humanitaires
de l'ONU (OCHA), près de 17,3 millions de Congolais se trouveraient en état
d'insécurité alimentaire aiguë.
Initiative symbolique
A la fin de
juillet, les Etats-Unis ont été les premiers à monter au créneau. La diplomatie
américaine a ainsi suspendu 200 000 dollars (environ 164 000 euros) d'aide
destinés à une école militaire. Faut-il y voir une inflexion de la posture
adoptée par Washington vis-à-vis de son allié ? « L'initiative américaine est
essentiellement symbolique, dans la mesure où les montants en jeu ne sont pas
déterminants. L'essentiel de l'appui militaire américain se fait au niveau de la
Communauté de l'Afrique de l'Est [organisation qui, outre le Rwanda, regroupe le
Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda et le Burundi] », souligne André Guichaoua,
professeur à l'université de Paris-1 et témoin-expert près le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR).
« Ce qui, de mon point de vue, est
plus significatif, ce sont la déclaration du Congrès américain du 3 août
[fustigeant le manque de transparence du gouvernement rwandais, notamment sur
son implication en RDC] et les propos tenus par Stephen Rapp, l'ambassadeur
itinérant chargé des crimes de guerre au Département d'Etat [lequel a affirmé
que les dirigeants rwandais pourraient être poursuivis devant la CPI pour aide
et complicité de crimes contre l'humanité dans un pays voisin] »,
précise-t-il.
Les Etats-Unis, en dépit de leurs objurgations, ont fait
savoir qu'ils ne retireraient pas leur soutien financier à la formation des
troupes destinées à prêter main-forte à l'ONU. Et pour cause : au 30 juin, pas
moins de 4.571 soldats et policiers rwandais étaient impliqués dans diverses
opérations de maintien de la paix à travers le monde – soit la sixième plus
importante contribution à l'institution onusienne en termes d'effectifs derrière
le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde, l'Ethiopie et le Nigeria.
Dans la
foulée de l'administration Obama, plusieurs Etats européens ont, eux aussi,
entrepris ces dernières semaines de rappeler Kigali à l'ordre. Les Pays-Bas ont
lancé le mouvement, mettant en suspens une aide de cinq millions d'euros prévue
pour soutenir le système judiciaire. La Grande-Bretagne (20 millions d'euros) et
l'Allemagne (21 millions d'euros) leur ont emboîté le pas. « Ce faisant, les
Européens ont profité de l'opportunité qui leur était offerte pour recouvrer un
minimum de dignité diplomatique par rapport à des faits qu'ils connaissent et
qui sont documentés. Par le passé, ils ne sont pas intervenus parce que le
Rwanda pratiquait un chantage à la déstabilisation de la région. Mais celle-ci
s'est aggravée, au point que la situation est devenue intenable », analyse M.
Guichaoua.
« Pillage institutionnalisé »
Ces « suspensions en
cascade », fait inédit, s'apparentent à un désaveu personnel pour Paul Kagame,
longtemps considéré – et porté aux nues – par les bailleurs de fonds étrangers
comme le principal architecte du redressement économique du pays après le
terrible génocide de 1994 (800.000 victimes). De fait, quelle autre nation d'à
peine dix millions d'âmes et au passé si tragique peut se targuer d'avoir connu,
au cours des cinq années écoulées, un taux de croissance moyen de son PIB de 8,2
% – taux qui, aux dires des autorités, aurait permis de tirer un million de
personnes de la pauvreté en pleine crise mondiale ?
Aujourd'hui, ce
succès ne suffit toutefois plus à faire taire les critiques. Aux accusations
répétées d'ingérence en RDC, Paul Kagame oppose les dénégations les plus fermes,
arguant notamment qu'une telle politique « serait contraire aux intérêts de son
pays ». « Nous ne fournissons pas un seule balle [aux rebelles congolais]. Nous
ne l'avons pas fait et nous le ferons pas », a-t-il assuré. L'argument ne
convainc personne.
Depuis que le Rwanda a envahi son turbulent voisin, en
1996 et 1998 – chassant, à cette occasion, le dictateur Mobutu Sese Seko –, ses
élites ont largement profité, et profitent toujours, des richesses minières que
recèle le sous-sol congolais (cobalt, cuivre, étain, or). Selon certaines
estimations, le fruit de ce « pillage institutionnalisé » rapporterait à Kigali
plusieurs dizaines de millions de dollars par an. Une richesse sciemment mise
sous le boisseau, qui a aussi son intérêt politique. « Grâce aux canaux
parallèles, la nomenklatura achète la paix sociale. L'ordre qui règne à Kigali
et les aspirations de Kagame à faire du Rwanda le Singapour du continent
africain d'ici à 2020 sont financés par ce biais-là », pointe André
Guichaoua.
Alternance en préparation
En faisant fi des coups de
semonce lancés par ses principaux partenaires, le Rwanda accentue cependant son
propre isolement et joue une partition délicate. Diplomatiquement, d'abord, car
il brigue toujours un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Financièrement,
ensuite, dans la mesure où l'aide étrangère représente près de la moitié de son
budget (45 %). Les Occidentaux pourraient-ils finir par rompre tout lien avec
leur partenaire ? L'hypothèse, juge M. Guichaoua, est inenvisageable à court
terme. « Il n'existe pas dans la région d'autre puissance susceptible d'assurer
la cohésion en matière d'ordre et de stabilité. De fait, Kigali a les coudées
franches. En outre, tant que Kabila et Kagame n'abattront pas clairement leurs
cartes sur ce qu'ils attendent de cette nouvelle confrontation, les
chancelleries occidentales ne pourront pas aller plus loin »,
observe-t-il.
Sur le front intérieur, Paul Kagame, au pouvoir depuis
avril 2000, a en grande partie perdu son aura d'invincibilité. Ses opposants,
toujours plus nombreux, fustigent un pouvoir « solitaire » et « autoritaire »,
coupable de multiples violations des droits de l'homme. L'intéressé, lui, s'en
défend véhémentement. Reste que beaucoup, mezza voce, travaillent déjà à
l'alternance. «C'est aussi la raison pour laquelle les Américains ne sont pas
inquiets, conclut M. Guichaoua. D'ailleurs, eux-mêmes ont commencé à préparer
les officiers rwandais de demain...»
Aymeric Janier (Le Monde)
© Copyright Le
Potentiel
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