(Les depeches de
Brazzaville 24/08/2012)
Vus de Kinshasa et surtout de Brazzaville, il n'est pas
certain que les enjeux des événements de l'est de la République démocratique du
Congo apparaissent avec netteté. Le plus souvent, les observateurs intéressés se
contentent de concepts devenus caractéristiques d'une région exsangue, souffrant
aussi bien de sa pauvreté endémique que de sa richesse débordante en minerais,
mais insuffisants à traduire la souffrance de millions de personnes lancées,
haletantes, sur les routes. Au gré des lubies de rébellions dont on a du mal à
saisir les véritables intentions, ce sont des foules en errance qui se lancent
dans une course éperdue. Quel ressort particulier anime une rébellion comme le
M23 aussi loin de Kinshasa et sans stratégie de pouvoir qui aille au-delà des
collines des Kivu ?
Ce journal a livré une première clé de lecture des
événements avec la recension du livre de Nicaise Kibel'Bel Oka. Directeur
éditeur du journal Les Coulisses qui paraît dans des conditions héroïques à
Béni, il a commis un ouvrage, Les Marionnettes congolaises(Édition du Panthéon,
dans lequel la thèse centrale est : les activistes et exaltés qui font le coup
de feu à l'est de l'ex-Zaïre s'effondreraient si leurs mandants cessaient de les
soutenir. Lorsque l'article parut dans Les Dépêches de Brazzaville du 9 juillet,
il était plein de conditionnels et de circonlocutions incertaines, truffé de «
serait », « pourrait », « semblerait ». C'est que la prudence était alors de
mise et les accusations s'apparentaient à des soupçons balayés par des démentis
aussi ponctuels que fermes.
C'est que le rapport de l'ONU n'était pas
encore paru. Jusque-là n'existait que celui de Human Rights Watch pourtant daté
du 4 juillet, mais considéré par beaucoup de journalistes sans doute comme
seulement un document de consultation. C'est le rapport de l'ONU qui est venu
apporter en quelque sorte la caution de la chose vérifiée, et étayer la thèse
défendue par Kibel'Bel Oka suivant laquelle les guerres de RDC sont des guerres
par procuration. Les voisins du Congo sont, écrit-il aussi bien dans son journal
que dans le livre, les véritables bénéficiaires de cette agitation sans fin. Le
rapport de l'ONU, on le sait, accuse nommément le Rwanda et des personnalités
rwandaises de premier plan d'être derrière les activités des milices anciennes
et nouvelles qui éclosent et agissent à l'est du Congo.
Sur le
terrain, rien n'a bougé
Y a-t-il quelque chose de changé depuis la
parution du rapport ? Rien de substantiel. Certes les États-Unis, les Pays-Bas,
l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont annoncé le gel de leur coopération avec
Kigali sur la base de ce document accusateur. À supposer que des faits aient
suivi l'annonce, cela n'est pas rien, bien entendu. Mais dans la réalité des
faits, les milices continuent d'agir. La mission de l'ONU en RDC, la Monusco, a
bien entrepris une opération « de stabilisation » à Goma, pour endiguer le
basculement de tout le Nord-Kivu aux mains des rebelles, mais cette mesure
apparaît plus comme un palliatif que comme le remède qui mettra un terme
définitif au bourgeonnement continu des mouvements d'insurrection.
Le
journal de Kibel'Bel Oka est sans illusions sur la question. Tant que les
commanditaires, le Rwanda, l'Ouganda et, dans une moindre mesure, le Burundi
n'auront pas été désignés comme les commanditaires de cet activisme, les gestes
de la communauté internationale s'apparenteront à de la gesticulation. Tant que
les forces armées congolaises seront aussi fragiles devant la corruption et la
sédition, rien n'y bâtira de mur protecteur. Dans la dernière édition de ce
bimensuel imprimé - fait très piquant - en Ouganda, les confrères n'hésitent pas
à soutenir que la paix ne viendra pas non plus de la signature d'accords avec
les voisins. Car, à l'instar de l'incontournable Rwanda, ils sont « des
partenaires-adversaires de la Rd Congo ».
La thèse poursuivie par le
journal pour expliquer « la problématique des populations flottantes
rwandophones » aux frontières des quatre pays est nette : Rwandais nés en RDC ou
venus là sous la poussée des affres du génocide de 1994 au Rwanda se rejoignent
dans« une stratégie de l'éclatement » pour parvenir en RDC à la création d'un «
État à eux, dans le Grand Nord, en pays nandé ». N'écrivirent-ils pas au
secrétaire général des Nations unies, en juin 1981, pour réclamer un référendum
d'autodétermination dans ce sens ? Et le président Bill Clinton ne s'avança-t-il
pas avec légèreté dans cette voie pour plaider une partition de la RDC en faveur
des populations, non pas rwandophones (nés au Congo, ils sont Congolais), mais
rwandaises ?
Certes, démonstration n'est pas raison, mais en attendant
que la complexité de cette situation débouche sur le diagnostic correspondant à
la vraie nature de la déstabilisation, puis à la recherche des solutions, les
populations de l'est de la RDC continuent d'errer d'une partie à l'autre des
frontières, manipulées par ceux des guérilleros ou de leurs commanditaires les
plus habiles. C'est en tout cas ce que soutient Les Coulisses dans sa dernière
édition du mois de juillet. Il y étale aussi le drame effroyablement insoluble
des trop nombreuses « autres » victimes : ces dizaines de femmes violées et
abandonnées par leurs maris et qui doivent vivre seules avec les enfants nés de
ces violences.
Lucien Mpama
Le journal Les Coulisses continue de
paraître à Béni pour témoigner de l'indicible au milieu de drames sans fin.
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Brazzaville
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